dimanche 22 décembre 2019

Les promenades du dimanche

Une des raisons pour lesquelles je suis venu jusqu'ici, c'est bien la découverte et les promenades! Comme je ne suis pas le seul à avoir cette motivation, on arrive facilement à s'organiser des sorties en petit groupe le soir ou le dimanche.
Pour des raisons de sécurité, il faut toujours être plusieurs en dehors de la base. Sur les zones les plus proches de la base, il faut être deux, et trois personnes dans les autres endroits. Et les lieux de reproduction et de nichages des manchots sont interdits d'accès sauf pour aider un ornithologue dans le cadre de son travail. Autre contrainte: il faut avoir dans son sac: un change complet, une radio, une petite corde et quelques autres choses. Ces mesures de sécurité sont imposées car nous marchons sur la banquise (mer gelée) et qu'il peut arriver que l'on passe à travers pour une séance piscine non voulue... Et puisqu'il n'y a pas de service de secours professionnels sur place, on limite les accidents au maximum.

Il y a une semaine, nous nous sommes décidés à aller au bord de la polynie (l'eau non gelée), pour voir les manchots Adélie plonger et nager, les jeunes manchots empereurs en attente de prendre leur premier bain et un iceberg. Nous n'étions qu'à 1,5km de la base mais il y avait déjà assez de nouveauté pour nous occuper pendant trois heures! La météo était vraiment agréable, avec du soleil peu de vent et des températures légèrement positives.
Manchots Adélie
Un Adélie bien curieux


Manchots Empereurs adultes

Jeunes manchots Empereurs 

Et aujourd'hui, nous nous sommes décidés à accompagner Claire, la médecin de la TA 69 qui doit aller travailler pour quelques temps à la base d'été Prud'homme. Il y a 5 km de banquise à traverser entre DDU et Prud'homme, j'ai pu inaugurer à cette occasion mes skis et marcher sur le continent Antarctique, nous qui sommes sur notre île. Nous sommes partis avec nos gros sacs, notre pique-nique, la pulka pour trainer des sacs, une tarière pour sonder l’épaisseur de glace. On pourrait penser que l'on part pour une semaine alors que nous avons marché 12km... En route, nous avons pu observer des phoques, des manchots Adélie, deux petits empereurs et en apprendre un peu plus sur la banquise et ses dangers.  Les nuages et le vent ont rendu la sortie moins facile que la semaine précédente mais l'ont s'est bien amusé. Et les sorties risquent d'être fortement limitées dans les prochaines semaines avec la débâcle de la banquise attendue dans les prochains jours.



En observation de phoques



Deux petits Empereurs attendant le dégel

Déjà deux semaines sur la base

Ma première semaine n'a pas été de tout repos: après un accueil à la sortie de l'hélicoptère, nous sommes guidé vers nos chambres que je partage avec Raphaël, mon prédécesseur. Avec l'équipe technique, nous faisons une visite rapide de la base avec Alain, notre chef technique qui connait les bâtiments comme sa poche. Le soir, rendez vous au séjour, pour le repas et la soirée de bienvenue, en se modérant: l'on travaille le lendemain.
La base sur son caillou
Au lit, je m'endors facilement malgré l'excitation, le soleil de minuit. Au milieu de la nuit, je me lève, j'ai l'impression d'être alcoolisé dans le couloir, tout bouge , le mal de terre mettra deux jours à passer.
Le lendemain, samedi, rendez-vous au bureau technique à 8h, ce sera comme cela tous les jours de la campagne d'été. Je passe ma journée avec Raphaël: il m'explique le fonctionnement global de la base, me fait découvrir l'atelier et les machines, me fait découvrir d'autres bâtiments, me présente les chantiers en cours et mes futurs collègues présents pour l'été. Je travaillerai avec un charpentier et un autre menuisier. La journée est intense et il est difficile de retenir les noms des personnes, des lieux, la disposition de la base, tous les nouveaux (dont moi) sont perdus. Enfin de journée, tout le monde se retrouve au séjour pour une petite soirée, qui se trouvera être malheureusement la dernière que les missions TA 69 et TA70 passeront en commun sur la base.
Le dimanche matin, qui n'a exceptionnellement pas été un jour chômé, à la réunion du bureau technique, nous apprenons que les hivernants sortants quitteront la base en fin d'après-midi. C'est un peu le choc sur la base. Comme l'Aurora Australis a été déchargé efficacement, et que le trajet vers l'île Macquarie est prévu avec une météo se dégradant de jours en jours, les australiens veulent partir le plus vite possible.
Nous passons notre journée à décharger, transporter et ranger le contenu de caisses amenées par hélicoptère. Il y a des vivres, des outils, des matériaux, des livraisons pour les différents laboratoires... Le rangement nous permet de nous familiariser avec les bâtiments de la base.
Une partie des caisses à vider
Puis arrive 16h, tout le monde se retrouve pour se dire un dernier au revoir. Le moment est assez fort, surtout pour les hivernants sortants qui n'ont eu que peu de temps pour faire leurs adieux aux campagnards d'été et aux derniers "survivants" de la 69 qui prolongent leur séjour de quelques mois. La base se vide ensuite petit à petit, rythme des rotations d'hélicoptère. Puis le bateau part sans tarder dans la soirée.
Un des derniers vols hélicoptère sur l'Aurora Australis
La passation aura été très, voire trop rapide pour tout le monde. J'ai de la chance que mon métier ne soit fondamentalement pas différent en France ou en Antarctique, et de pouvoir bénéficier des conseils des campagnards d'été qui ont beaucoup plus d'expérience sur ce terrain que moi. Mais pour d'autres personnes, surtout les scientifiques qui devaient avoir jusqu'à un mois de passation, les débuts sont beaucoup plus difficiles.
Comme nous avons bien travaillé la veille et que le coup de bourre logistique est passé, le lundi est décrété "férié". J'en profite pour prendre possession de ma chambre, de ranger quelques affaires et de la décorer un peu, de redécouvrir à tête reposée mon atelier et de me balader un peu sans m'éloigner de la base. Je prend le temps d'apprécier le paysage et j'essaie de réaliser où je suis: la quantité d'animaux, la mer, la banquise, le glacier derrière la base, tout est hallucinant.
Le travail recommence le mardi. Je continue à ranger des colis et des vivres puis nos malles d'affaires personnelles. Le lendemain, je suis envoyé dans un conteneur frigorifique servant de rangement sur la base, pour démonter un caisson fond qui contenait le groupe froid, nettoyer et casser la glace, isoler, puis fermer proprement et hermétiquement le tout avec de l'inox et du silicone.  Comme l'on m'avait prévenu, je ne ferai pas que des choses en bois, et les chantiers dureront le double de temps par rapport à la France. Je mettrai deux jours à finir.
Mon premier chantier
Pour finir la semaine, l'on me donne ensuite une pompe à silicone, une spatule et me demande si je sais faire des joints. Comme je me débrouille bien, et que je suis bête et discipliné, je gagne le droit de jointer deux façades du bureau technique/météo... C'est bon, le bizutage, c'est fait! Sur l'extérieur de ce bâtiment ont été collé du Reynobond (plaque aluminium colorée/plastique). Il restait donc l'espace entre les poteaux métalliques et le revêtement à combler. J'ai tout de même de la chance, le soleil est de la partie depuis notre arrivée, le températures positives et le faible vent également. Je travaille donc en t-shirt, casquette et lunette de soleil. Ce sont les vacances! J'aide aussi à finir de coller les dernières plaques et de changer les trois dernières fenêtres. L'extérieur du bâtiment est fini pour le moment, La suite se passera cet hiver avec la rénovation complète de l'intérieur.
L'extérieur du bâtiment technique
Je travaille en ce moment sur les meubles pour aménager une chambre médicale dans un conteneur 50 pieds. Ce conteneur est monté sur des patins et sera trainé en convoi à travers la Terre Adélie une fois fini. Les meubles ont été fabriqués par mon prédécesseur, je  m'occupe actuellement du ponçage et du vernis, et de quelques ajustements.
Les vues avant d'aller dormir
Mais comme il n'y a pas que le travail dans la vie, nous avons le temps de nous occuper quand même quelques loisirs: observation de la faune locale, billard, fléchettes, jeux de société, soirée dansante, promenades, réalisation de cadeaux de Noël... Je ne vois pas le temps passer!
La base et un de ses habitants
Je vous présenterai tout ça plus en détail prochainement, l'aventure ne fait que commencer.

vendredi 13 décembre 2019

Pour me joindre

Comme vous le savez, je suis un peu isolé du monde civilisé. Mais il y a quand même quelques moyens de communication. J'ai accès à internet sur certains ordinateurs de la base, donc c'est loin d'être tous les jours. De plus le débit est minimum, 256kbps à se partager...
Mais j'ai une adresse mail accessible partout, que je consulte quotidiennement. Merci de ne pas envoyer de pièces jointes de plus de 3 Mo.

bdubet (arobase) ddu (point) ipev (point) fr

Je serai heureux d'avoir de vos nouvelles!

Nous avons aussi le courrier, pour m'écrire:
Bastien Dubet
Base Dumont D'Urville
District de Terre Adélie
T.A.A.F
via ROISSY HUB BSCC PIC
5 rue du haut de Laval
BP 17615 Cargo 9
95724 Roissy CDG CEDEX

C'est à affranchir au tarif France. Mais comme nous ne savons pas quand viendra le prochain bateau, le dernier délai départ de France est inconnu. Mais logiquement il faudra que vous m'expédiez vos cartes de voeux avant le 10 janvier.

La traversée

Nous avions rendez-vous à 8h, dans les locaux de l'Australian Antarctic Division le lendemain.  Nous nous sommes donc tous retrouvés, passagers francais et australiens, dans un grand hangar. Les logisticiens australiens étaient très bien organisés, ils ont pesé puis pris en charge nos sacs pour qu'on les retrouve plus tard dans nos chambres. Ils nous ont aussi attribué une adresse mail et la façon de téléphoner, via une appli smartphone. Je n'ai utilisé rien de tout ca, ce n'etait pas tres simple pour moi (et cela fait du bien de se couper un peu du monde). Nous avons ensuite tous enfilé un gilet fluo, pour traverser les 200 mètres de quai, à fond la sécurité!
Sur le bateau, nous avons eu droit à une conférence sur la vie à bord: alcool interdit (j'ai planqué la gourde de gentiane), repas entre 7-8h, 11h30-12h30 et 17h30-18h30 (juste à l'heure pour regarder question pour un champion avec une tisane!), les zones accessibles sur le navire. Le capitaine nous dit également qu'il ne sait pas encore où l'on va! Macquarie ou DDU en premier? La météo décidera dans la soirée, au moment  de sortir de la baie d'Hobart.
Ensuite, rendez-vous sur le pont arrière avec notre sac de dotation pour l'exercice d'évacuation, on visite les radeaux de sauvetage avec nos gilets de sauvetage, c'est convivial! On essaie la collection automne-hiver des combinaisons étanches, on doit pouvoir survivre une dizaine d'heures au moins avec. En espérant qu'elles restent dans les placards...
Dans les chambres, on retrouve nos bagages et nos sacs de dotation: c'est Noël avant l'heure, on est habillé pour l'année: Sorel, pulls, vestes, pantalons, sous-vêtements thermiques, lunettes, gants, bonnets et nos charentaises.
Après le déjeuner, rendez-vous avec les douanes pour présenter le passeport. Tout se passe bien, je suis autorisé à partir.
La suite est moins passionnante. A 14 heures précises, le grand départ est donné. On prend la direction plein sud pour quitter la baie. Vers 18 heures, on apprend que l'on n'ira pas à Macquarie Island, l'île sera ravitaillée sur le chemin du retour. Au début je suis déçu, on manque la chance de découvrir une faune que l'on n'aura pas la chance de découvrir en Antarctique. Mais après quelques jours de mer, je suis bien content que l'on écourte le voyage. Je résiste un peu au mal de mer, mais le bateau bouge beaucoup tout de même. Il est difficile de dormir ou d'organiser des activités. Mon estomac me dit de ne pas lire ou regarder mon ordinateur. Bref ce n'est pas la fête.
La sieste du mardi après-midi, au soleil sur le pont du bateau, viens briser la monotonie. 4 heures passées à l'extérieur me donneront des jolis coups de soleil sur le bout du nez. Le lendemain est moins rigolo avec des creux de 6 mètres et un repas rendu aux poissons...
Le jeudi matin, dans le brouillard, enfin une tache apparait sur l’écran radar du bateau. Tout le monde se met à guetter notre premier iceberg, puis au loin on commence à deviner une tâche légèrement différente du ciel gris. On se retrouve à quelques centaines de mètres d'un beau bébé d'environ 1,5 km de long. C'est impressionnant et majestueux. Et enfin l'on voit quelque chose à l'horizon après 4 jours de mer sans croiser une terre ou un bateau, seulement suivis par quelques albatros et autres espèces d'oiseaux marins.
On ne reverra de la glace que le soir avec d'abord d'autres bergs puis l'entrée dans le pack, résidus de banquise disloquée qui ne posera que peu de problème à l'Aurora Australis et son équipage. On nous apprend également que l'on arrivera sur base le lendemain, vendredi.
J'ai du mal à aller me coucher, tant le spectacle est magnifique, tout le monde est dans le même état d’excitation que moi. Une fois dans le pack, la mer deviens plate comme un lac, et la traversée se transforme en croisière touristique entre glaces, manchots Adélie et baleines.
Vendredi matin, j'ouvre les yeux à 6h, je m'habille vite fait et je file sur le pont. Il commence à faire froid, avec le vent de la mer

Le spectacle est grandiose: le soleil et le ciel bleu sont là, l'on voit des bergs de tous les côtés et petit à petit, le continent apparait. D'abord on croit voir un nuage bas à l'horizon, puis l'on se rend compte que c'est de la glace!
A 11 heures, on effectue un dernier virage pour l'on se retrouve en face de la base. Enfin l'on touche au but!
Le bateau fonce droit dans la banquise, à 1 kilomètre de DDU, pour utiliser la glace comme quai.
Après un formation hélico, un dernier repas à bord, l'on s'envole pour une minute pour atterrir au centre de la base. Après 8 jours de transports, enfin à la maison pour une année!