samedi 21 novembre 2020

Rotation terminée, passation en cours

Samedi 14 novembre au matin, le bateau est en vue. Il est bloqué par la glace à sept kilomètres au nord de l'île, juste à côté des immenses icebergs qui habillent notre paysage depuis un an.  

 

Après une réunion sur la sécurité des hélicos sur base, je pars avec Julien pour déneiger (encore) une des zones d'atterrissage près du dortoir été. On nous a dit qu'il fallait juste passer une coup de balai pour enlever la poudreuse, mais en arrivant on découvre jusqu'à cinquante centimètres de neige bien tassée. La tempête Pol nous a joué encore un mauvais tour, nous passons trois heures à dégager le tout. On se fera avoir jusqu'à la fin.

Dès 14h, les premiers hélicos commencent les aller-retours pour débarquer les hivernants et campagnards d'été. Nous sommes tous rassemblés dans le séjour, guettant les arrivées de nos successeurs. J'en profite aussi pour discuter avec les campagnards que nous avons connu l'été dernier. On échange sur les difficultés du trajet,  de la vie en France, leur quatorzaine ou sur notre hivernage.
Je peux enfin discuter avec Mickaël, mon successeur. Je l'emmène directement à l'atelier, qu'il puisse découvrir son outil de travail. Il y a ensuite beaucoup de bâtiments à visiter, lui montrer la chambre, présenter un peu les animaux... J'essaie de ne pas trop le noyer sous les informations. Je me souviens des difficultés que j'ai pu rencontrer l'an dernier à mon arrivée. Il y a tellement de changement par rapport à la France (lieu de vie, de travail, environnement, personnes différentes, rythme) que l'adaptation peut être un peu longue. Mais au moins, nous avons un mois pour que je puisse lui transmettre toutes les spécificités du travail ici donc il n'y a pas trop de stress. Du bois reste du bois partout dans le monde! 


J'ai aussi le regret de lui annoncer que nous sommes de service base le lendemain, nous avons donc la chance de commencer la passation de consigne par du ménage. C'est nettement plus sportif de servir et de faire la plonge pour 65 personnes qu'en plein hiver où nous étions 24 à s'entraider plus ou moins.
En même temps, la valse des hélicoptères reprend pour vider les conteneurs de l'Astrolabe. Toute la journée, des caisses métalliques sont amenées devant le séjour et le contenu dispatché entre les bâtiments. Je reçois enfin mes commandes passées en avril. Ce sera Mickaël qui en profitera. Des pièces détachées de machine, des outils et de la quincaillerie principalement.
C'est également l'occasion de recevoir les très attendus produits frais: fruits, légumes et yaourts. J'attendais avec impatience ce moment. Nous avons mangé les dernières pommes en août. Pendant que nous formions une chaîne humaine pour ranger tout au +4°c, je dévore une pêche. Et pour le repas du soir, la salade verte et les tomates ont eu un grand succès.

Pendant la journée, le bateau était stationnaire pour permettre le déchargement. Mais pendant la nuit, il continuait à grignoter doucement la "nouvelle" glace datant de la débâcle du mois de septembre. C'est ainsi que nuit après nuit, il a réussi à casser une large zone de banquise (pour ne pas rester coincé) d'une épaisseur de 80cm pour s'approcher à quelques centaines de mètres de la piste du Lion, contre l'ancienne banquise mesurant 160cm. Accosté à une banquise solide, une pelleteuse et le fioul ont pu être débarqués.
En quelques jours, nous avons retrouvé l'eau libre tout proche. Et dans la nuit de jeudi à vendredi, après le départ, avec un peu de houle, quasiment tout le restant de banquise a cassé. Le bateau a sûrement fragilisé le tout, renforcé par les températures douces. L'accès à Prud'homme est maintenant impossible en véhicule, le quai est quasiment accessible au bateau, quasiment toutes les îles sont inaccessibles, les promenades sont terminées. Je vais pouvoir ranger les chaussures de marche et les skis. 


Cassage d'une large zone de banquise

Le bateau est reparti jeudi, un peu en catastrophe, pour ramener une dizaine de mes cohivernants à la civilisation. Le départ a été avancé en raison d'une évacuation sanitaire demandée par l'île Macquarie. C'est un peu la fin de la TA70. Pour les adieux, beaucoup de monde avait une poussière dans l’œil. C'est sûrement l'air sec, comme l'on dit ici.
Nous avons profité au maximum des derniers moments que nous avons pu passer ensemble. Nous sommes peut être passé pour des gens peu sociables sur nos derniers jours ensemble. Il était surtout difficile de s'habituer aux grands changements de ces deux dernières semaines: l'agitation et le bruit contrastent nettement avec le calme d'un hiver en Antarctique.

Bon retour!

Et quelques jours avant le départ,  nous avons enfin réussi à prendre une photo de groupe à 24. C'est un sacré exploit. C'était notre quatrième essai depuis le séminaire, ce sera un beau souvenir.

mardi 10 novembre 2020

Il y a des gens

 Samedi 7 novembre 13h30.  Après huit mois et demi d'hivernage, un avion Basler (un DC3 rénové, construit dans les années quarante) atterri en Terre Adélie et met fin à notre hivernage. C'est la première trace de vie extérieure que nous voyons depuis février dernier.


J'ai eu la chance de pouvoir assister à atterrissage puisque je fais partie de l'équipe de premiers secours et que je conduisais en plus un engin pour transférer du monde.
L'avion est resté une petite heure, le temps de débarquer bagages et passagers et de refaire le plein. Puis nous sommes rentrés en traîneau tiré par un tracteur.

Le plein et ça repart
 

Avec le second avion arrivé le lendemain, nous sommes maintenant dix de plus sur la base (les deux premières hivernantes de la TA71, accompagnés de personnels techniques et scientifiques), sans compter la douzaine de personnes préparant le raid à la station de Prud'homme.
Donc depuis quelques jours, le rythme s'est accéléré. La valse des engins a repris en vue de l'arrivée de L'Astrolabe, les horaires de travail se sont rallongées, les bâtiments et les repas sont plus animés. Notre petite routine a changé. Nous retrouvons les habitudes de la campagne d'été du début d'année. Mais au moins, nous n'avons plus à gérer l'entretien de la piste d'avion, à déneiger les accès à la centrale ou aux frigos de Prud'homme, au gré des avions retardés de jours en jours,  par -15°c en plein vent.

Déneigement à Prud'homme, pour la troisième fois de la semaine...
 

Et dimanche, nous serons environ 65 avec l'arrivée du bateau! Ce sera l'occasion de retrouver ceux que l'on a côtoyé il y a quelques mois, qu'ils nous racontent un peu leur année en France et de rencontrer nos successeurs qui sont partis de chez eux voilà bientôt un mois.

Les travaux sont maintenant orientés sur le déneigement général de la base, pour accueillir le bateau et la TA71. Avec Julien, nous avons passé la journée à dégager la zone d’atterrissage de l'hélicoptère, il faisait beau et chaud (-5°c) et donc nous avons pris des bons coups de soleil sur le visage. C'est le problème ici: avec le soleil fort, le réflexion de la neige et la chaleur que l'on sent moins, on oublie un peu de mettre de la crème solaire et la sanction est immédiate. J'aurai au moins un joli teint de vacancier skieur pour les fêtes de fin d'année en France.








dimanche 1 novembre 2020

Derniers jours

 En attendant le premier avion, qui devrait arriver "normalement" mercredi 4 novembre, nous continuons logiquement les travaux sur la base. 

Tout le monde est mis à contribution pour accueillir aux mieux nos premiers visiteurs depuis huit mois. Au programme de la semaine qui s'est écoulée: grand ménage du Séjour, nettoyage des chambres inoccupées du dortoir hiver, réouverture du dortoir d'été, déneigement, retour des tables et des chaises pour 65 personnes, continuation de la préparation de la piste d'avion, rangement des ateliers...
A cela s'ajoute mes chantiers, qui ont consisté ces derniers temps à habiller le derniers endroits manquants de finition au Séjour et au BT: cloison de l'évier de la cuisine, poteaux dans le Séjour, dessous de lavabo, tuyaux de chauffage... Pour les poteaux, c'était quelque chose que j'avais envie de faire quasiment depuis le premier jour. Ils ont échappé à la rénovation de 2018 mais commençaient à faire tâche au milieu de la pièce. Juste avant de les recouvrir de Trespa, chacun a marqué ce qui lui passait par la tête au feutre indélébile. De l'art éphémère, qui sera peut être redécouvert dans cinquante ans.



   
Avant-Après
 

Et dans un peu plus de dix jours, le bateau sera également arrivé. Il faudra que je réapprenne à partager ma chambre et mon atelier pour un mois. Ce ne sera d'ailleurs plus "ma chambre" et "mon atelier", je ne serais plus que le locataire de mon successeur.

Avec les températures qui remontent (jusqu'à -1.7°c), la neige et la glace commencent à fondre un peu. A cela s'ajoute les tempêtes du mois d'octobre qui rabotent tout. Avec ce traitement, certaines caravanes du Raid entreposées à Prud'homme n'ont pas appréciées. La glace sous les patins a disparu, ce qui en a déséquilibré une. Une autre a glissé sur une centaine de mètres puis s'est retournée. Les dégâts extérieurs n'ont pas l'air méchants, en attendant que les responsables du Raid inspectent l'intérieur. 


Comme une autre grosse remorque menaçait aussi de glisser, j'ai recruté Antoine pour caler les patins avec les moyens du bord. Nous sommes partis avec un tas de bois qui traînait devant l'atelier, la tronçonneuse, la tarière, la masse et des pieux en ferraille. Le reste, c'est un concentré de French Polar Technology et d'ébénisterie à la tronçonneuse pour éviter que le convoi aille voir ailleurs.

J'ai eu aussi l’occasion de partir avec Alexis, en compagnie de Alain D. et Corentin pour l'aider à finir les comptages de phoque. Nous sommes allés jusqu'aux îles Ifo et Hélène, tout au bord de la polynie. C'était sympa de revoir de l'eau liquide sous forme naturelle, avec le bruit des clapotis et les manchots qui nageaient. 

Le départ (photo Alain D.)

Les manchots adélie à la sortie du bain

Même si nous n'avons pas vu beaucoup de phoques, que les conditions n'étaient pas idéales (-15°c et 40 km/h de vent mais soleil), c'était vraiment un plaisir de faire une dernière grosse sortie avant la fin de l'hiver. Le départ dans la neige soufflée, sans trop voir notre cap était assez magique. Et avec 35 km, c'était notre plus longue promenade. La marche en bottes souples et la déshydratation (limité par le litre d'eau du thermos) n'ont pas aidé à la performance mais les nouveaux paysages nous ont vite fait oublier les problèmes.

Photos Alain D.
 

Nous avons aussi commémoré l'accident d'hélicoptère du 28 octobre 2010. Il y a dix ans, Frédéric Vuillaume, Anthony Mangel, Jean Arquier et Lionel Guignard décédaient lors d'un trajet entre l'Astrolabe et Dumont d'Urville. Cela nous rappelle tous qu'ici la vie est confortable mais peut être parfois dangereuse.


La vue depuis Hélène